Cet épisode raconte la démarche « Capacitation Citoyenne », qui existe quasiment depuis l’existence de Periferia. En revenant sur des moments marquants de cette histoire, on explore les questions suivantes :
Quels groupes laissent des traces de leurs combats ? A quoi ça sert de se raconter ?
Comment, en tant que subalternes, issues de groupes minorisés, peut-on faire exister nos histoires, et les transmettre à d’autres ? Et enfin, comment se rencontrer, tisser des liens entre groupes minorisés ?
Retrouvez la transcription ci-dessous.
Claire :
Je pense que quand tu traverses plein de moments où tu es en galère, tu passes ta vie à raconter ta vie, mais au guichet. Tu passes ton temps à raconter ta vie, mais tu choisis pas ni ce que tu racontes, ni comment tu le racontes, ni si tu le dis en criant, en chuchotant. Sur un Silence, on parle ! tu as le droit de te mettre en colère. C'est toi qui choisis ce que tu dis.
Jingle
Solenne :
Et en 25 ans, que s’est-il passé ?
Jingle d’introduction :
« Pour moi, tout citoyen doit participer. »
« L'abstention décidément est un piège à cons. »
« Tout est déjà décidé à l’avance. »
« Je vous ai compris. »
Pas… Sans… Nous. Pas sans nous : une série de podcasts de Periferia.
Solenne :
En 1985, la philosophe féministe indienne Gayatri Spivak publie l'essai « Les subalternes peuvent-elles parler ? ». À partir de la situation des veuves en Inde, sous l'empire colonial, l'autrice explique comment les structures dominantes, dans ce cas l'impérialisme et le patriarcat, empêchent les personnes subalternes de parler, ou plutôt de se faire entendre. Ce que nous dit Spivak, ce n'est pas que les subalternes ne parlent pas, mais qu'elles sont soit ignorées, soit leur discours est réinterprété au prisme de représentations négatives et stéréotypées. Les subalternes ne peuvent donc pas parler pour elles-mêmes, porter un discours qui les représente de manière juste de celle qu'elles souhaitent. Si Spivak parle de la position de femmes en Inde, on peut comprendre la figure du subalterne comme une catégorie de population ignorée de l'histoire officielle, qui n'a jamais bénéficié de représentants ni d'archives, comme l'écrit Émilien Legendre à propos de l'essai de Spivak.
Quel groupe laisse des traces de leur combat ? Ça veut dire quoi se raconter et à quoi ça sert ? Et puis à qui on se raconte ? Comment en tant que subalterne, issu de groupes minorisés, peut-on faire exister nos histoires et les transmettre à d'autres ? Et enfin, comment se rencontrer, tisser des liens entre groupes minorisés ? À partir de la dynamique Capacitation Citoyenne, née presque en même temps que Periferia, on va réfléchir à ces questions pour ce nouvel épisode de Pas Sans Nous.
Musique
Solenne :
Dans le premier épisode retraçant l'histoire de la naissance de Periferia, on avait déjà mentionné le terme de Capacitation Citoyenne parce que ça existe depuis longtemps et il faut le dire, c'est une dynamique qui a marqué notre association et qui continue de le faire. Mais avant de donner la parole à quelques personnes ayant pris part ou étant toujours dans Capacitation, il faut qu'on vous explique un peu de quoi il s'agit.
Des personnes de Dunkerque et de Grenoble qui avaient visité l'école des chercheurs populaires à Fortaleza viennent chercher Periferia, à peine créé en Belgique, pour porter un projet sur la participation des habitant·e·s à la gestion de leur ville. Ce projet deviendra Capacitation Citoyenne et sera animé par Periferia et l'association grenobloise Arpenteurs. Capacitation Citoyenne se lance comme une dynamique qui vise à valoriser les savoirs et savoir-faire de personnes souvent invisibilisées et à se capaciter via l’échange entre collectifs de personnes qui n'ont parfois pas grand-chose en commun, mais qui vivent toutes des formes d'exclusion. Dès le départ, Capacitation rassemble des collectifs ancrés dans des territoires différents de France et de Belgique. La première rencontre a lieu à Dunkerque en 2000 et rassemble 12 collectifs venus du Brésil, de France et du Sénégal.
Leticia :
Depuis l'année 2000, Capacitation Citoyenne mène essentiellement trois types de projets. D'abord, l'écriture de livrets permettant à des collectifs de raconter leur histoire et de la transmettre à d'autres. Ensuite, des rencontres entre collectifs pour échanger sur des pratiques et se renforcer dans ces luttes et finalement des actions dans l'espace public pour se rendre visible et prendre une place à laquelle les personnes ont souvent peu accès. Pour mieux nous parler de tout ça, on a été interrogées trois personnes proches de Capacitation : Anne Felix, Claire Cuenot et David Praile.
Anne commence à nous expliquer comment elle a connu Capacitation.
Anne :
La porte d'entrée, pour moi, c'était plutôt la santé. Mais la santé au sens de vision très holistique, qui touche un peu à toutes les dimensions de la vie. Et donc l'idée, c'était aussi dans mon travail, dans une maison médicale, de voir comment on pouvait agir sur les autres déterminants de la santé que simplement l'absence de maladie. Et donc, dans la maison médicale dans laquelle je travaillais, on envisageait tous les déterminants de la santé, donc le logement, la vie sociale, l'éducation, l'accès à des espaces publics et à des espaces naturels, la projection à l'avenir, le lien social. À ce moment-là, je m'intéressais à toutes sortes de démarches. Je suis allée à une journée de formation où j'ai entendu Patrick parler de cette fameuse Capacitation et des outils qu'il avait testés au Brésil et qu’il ramenait par ici pour essayer de justement ne pas avancer tout seul avec ces belles idées.
Il y avait notamment la question du diagnostic territorial, de connaître vraiment le quartier dans lequel on agissait. Et puis, quand j'ai été voir Patrick, ça lui a titillé aussi cette question des maisons médicales. Finalement, on s'est rencontré et on a discuté toutes ces questions-là avec un collectif de patients qui étaient plus ou moins engagés dans les projets de la maison médicale. Ça duré plusieurs années, c'était vraiment très intéressant.
Claire :
Moi, c'est Claire et je suis à Grenoble en France. Aujourd'hui, je suis investie dans l'association Parlons-en qui est le lieu des habitants de la rue et de la ville, et qui est plutôt une association autour des questions de grande précarité et de vie liées à la rue. Je suis aussi dans l'Université Populaire d'Ici et d'Ailleurs, Unipopia qui regroupe des collectifs et des groupes d'un peu partout en France et en Belgique et qui est complètement dans la continuité ou dans la vibe Capacitation. Dans mon souvenir, la première fois que j’ai connu Capacitation, c'est parce qu'à l'époque, en 2011, j'avais intégré l'association Arpenteurs qui co-animait avec Periferia la dynamique et je débutais à Arpenteurs. Et si je me souviens bien, c'était un Silence, on parle ! à Roubaix mon premier moment. J'ai essayé de retracer, je crois que c'était ça. C'était en 2011-2012.
David :
Moi, c’est David. Je travaille actuellement pour le Rassemblement Wallon pour le Droit à l'Habitat, qui est une plateforme associative régionale au niveau wallon. Les contacts avec Capacitation Citoyenne remontent à l'époque où je travaillais pour une association qui s'appelle Solidarités Nouvelles et basée à Charleroi et qui travaillait autour des questions de logement, mais de manière très large, avec comme manière de faire d’essayer de mobiliser des habitants dans des dynamiques collectives et citoyennes autour de ces questions-là. Très marrant de t'entendre parler de Parlons-en à Grenoble parce que je sais que c'est un des fruits de ces échanges entre groupes militants d'habitants de la rue notamment, qui ont eu lieu autour à partir des échanges Capacitation Citoyenne.
Solenne :
Avant d'aller plus loin. C'est intéressant de se questionner sur ces deux mots Capacitation Citoyenne parce que tout le monde ne les entend pas de la même manière et notre manière de les comprendre a également changé avec le temps. L'expression vient de cette première rencontre avec des personnes du Brésil et du Sénégal qui utilisaient déjà le mot Capacitation.
David :
Le terme en lui-même était intéressant parce que c'était peu utilisé à l'époque. On commençait à utiliser le terme d'empowerment. Mais cette idée de tabler sur le renforcement des capacités et avec une résonance dans l'action. Et puis Citoyenne parce que tout est politique, évidemment.
Claire :
Pour moi, le mot de Capacitation Citoyenne… Alors à l'époque où je suis arrivée ça devait être autour de 2011, j'avais un peu moins de 30 ans et j'ai continué. Aujourd'hui, j'en ai un peu plus de 40 et je pense qu'entre temps, y compris sur les positions politiques à travers soit le Parlons-En soit d'autres engagements, j'ai peut-être un peu changé à titre personnel aussi, changer de manière de percevoir. Et il y a eu plein de mouvements et trucs inventés pour revendiquer le pouvoir d'agir des personnes. J'aimais beaucoup à l'époque le côté empouvoirement, parce que j'aimais beaucoup la notion de pouvoir et que j'avais l'impression que c'était encore plus fort que la notion de capacité. J'ai souvent été un peu craintive par rapport aux deux mots, que ce soit empouvoirement ou Capacitation, sur le côté où « on va donner des capacités à » ou « on va donner du pouvoir à ». Alors que pour ça je trouve qu'il faut une longue explication, c'est plutôt un processus.
Ce n’est pas quelqu'un qui va arroser de capacités d'autres gens qui en sont dépourvus, mais que c'est toute ce processus-là. Je trouve que le mot Capacitation parfois est un peu trompeur et un plus un peu complexe. Je sais qu’on le ramenait au Parlons-En ou ailleurs. Effectivement, c’est vraiment dans les actions qu’on perçoit cette notion et qu’on se renforce mutuellement. À titre personnel, j’ai un gros problème avec le mot citoyen·ne. Aujourd’hui, en particulier en France. J'ai l'impression que ça fait partie des mots, que c'est même plus la peine d'essayer de se réapproprier tellement il a été déformé, transformé. Il est tellement marqué par l'idée qu'un citoyen, c'est quelqu'un qui a accès à des droits politiques, mais aussi à des papiers, qu'il est lié à la nation et à des droits civiques et politiques dont tellement sont privés. Donc j'ai du mal avec le mot citoyen·ne. Pour le coup, je trouve vachement plus mon compte dans Capacitation dans Unipopia, dans l'idée de collectifs, voire de communauté. Oui, de collectifs ou de mouvements, de réseaux que de citoyenneté active.
Chant :
J’ai vu des contrôles abusifs
Des reconduites à la frontière
Un étau administratif
Aux ordres de leur ministère
Non, ne me demandez pas
De cautionner cette politique-là
Leticia :
Rien qu'avec l'expression Capacitation Citoyenne, on touche déjà à quelque chose d'important de la dynamique. Le but n'est pas d'être d'accord ou de se rallier derrière un dénominateur commun. Ce qui est partagé par contre, c'est la logique de Capacitation ou Capa comme on le raccourci souvent. C'est finalement assez similaire à celle de l'éducation populaire. Il s'agit d'apprendre et de connaître ensemble et à partir d'expériences de personnes minorisées, et non pas d'enseigner à d'autres ou d'arroser de capacités des personnes qui en seraient dépourvues, comme le rappelle Claire. On se rassemble autour de situations d'injustice et d'inégalités, on valorise nos connaissances et expertises, on se soutient et on réfléchit ensemble à nos manières d'agir.
Chant :
Non, ne me demandez pas
D’être indifférent·e à ces vies-là
Non, ne me demandez pas
De l’ignorer cette oppression-là
Anne :
Pour moi, les rencontres Capa, ça reste des moments où on donne la parole à toutes les personnes qui ont envie de la prendre. Et je n’ai pas vu ça à 50 000 endroits dans ma vie. Je donnais la parole à tout le monde de manière équivalente et je pense que vraiment ça, ça va à l'encontre des représentations sociales et des schémas dans lesquels on est tous prit jusqu'à la moëlle.
David :
C'est vraiment cette idée de temporalité et de narration très différente. À la fois, le livret comme un moment où on se pose, on réfléchit à ce qu'on est en train de faire, on essaie de le traduire pour garder des traces aussi et exprimer ce qu'on est en train d'expérimenter. Puis la prise de parole autour de soi et dans le cadre des rencontres Capacitation qui sont d'un autre ordre, qui se complétaient très bien et qui se renforçaient je pense, même si ce n’était pas l'objectif direct. Indirectement, l'un l'autre, deux manières de dire les choses. Plusieurs manières de dire les choses, de se raconter.
Anne :
Pour moi, le livret, en plus d'être incroyable, ça reste un objet sacré qui dure dans le temps. Je suis sûre qu’il doit toujours être quelque part dans les armoires de la maison médicale. Pour moi, vraiment magique d'avoir réalisé ça, d'avoir participé à cette écriture. Et je pense que pour les personnes qui ont participé, c'est vraiment inoubliable et ça a permis encore longtemps après aux gens de se questionner sur le projet, sur le fonctionnement de la maison médicale. On a repensé la place des bénévoles, la façon de prendre les décisions. On a vraiment aussi appris justement à se mettre en récit. Ce qui ne se faisait pas tellement, ou en tout cas pas de manière si horizontale. Ce livret, je pense qu'il a quand même eu un énorme effet aussi sur le collectif de la maison médicale. Et en plus, je pense que pour tout le monde, voir ce qu'on a pu raconter de soi, écrit et si bien écrit par-dessus le marché, c’était quand même assez mémorable. C'était un très chouette moment.
Claire :
Sur les histoires de récits, comment on se raconte entre nous ? Comment on se raconte aux autres ? Mais quels autres ? Et comment on se raconte sur une grande place publique ? Comme on disait au début, on n’a pas les mêmes mots, on n'a pas les mêmes manières de parler, on ne cherche pas à avoir ni les mêmes mots, ni les mêmes manières de parler. Mais il y a cette espèce de truc qu'on se dit tous : le monde appartient à ceux qui savent se raconter quelque part, ceux qui savent aussi être visibles et s'expliquer. Moi, je n’ai jamais participé par exemple à l'écriture d'un livret. J'en ai lu beaucoup par contre. Mais j’ai l’impression qu’il y a aussi toute une dynamique en ce moment que de dire le récit n’est pas forcément écrit. Il y a des récits et le récit n’est pas forcément l'écrit qui reste. Il y a des récits un peu éphémères qui y sont valables à tel moment. Et ces récits-là, peut-être que ce sont des images, peut-être que ce sont des vidéos, peut-être des sons, peut-être des cris, peut-être des écrits. J’ai l'impression qu'il y a une réflexion en ce moment pour se dire qu’il ne faut pas qu'on partage juste cette nécessité de se faire entendre. Il faut qu'on partage aussi les capacités à organiser des manières de se faire entendre. Il faut qu’on partage aussi cette capacité à établir des manières de se faire entendre. Il y a un peu cette dynamique en ce moment. Ce n’est pas juste de se dire : on va se former à faire une émission de radio, à faire du montage vidéo, à s’interviewer les uns les autres, entre personnes qui connaissons les mêmes galères ou qui avons des actions collectives dans des villes différentes et ça me paraît vachement précieux.
Il y a quand même beaucoup de monde, quand on parle de récits autour de personnes en galère. Il y a beaucoup de récits individuels qui relèvent du témoignage et qui sont en fait une étape qui est peut-être importante mais qu’on arrive à faire du récit collectif et pas juste pour sensibiliser sur les questions de la vie à la rue. Avoir un témoignage d’un tel à la rue depuis dix ans qui raconte son parcours. C'est ça aussi que je trouvais fort dans Capa, c'est comment tu prends un récit, et tu inventes une forme de récit. Je ne sais plus si c’est récit le bon mot, ou un conte, un récit de de tout ce cheminement. C'est ça qui peut faire la force et la différence par rapport à d'autres réseaux existants ou d'autres dynamiques existantes dans cette histoire de lutte pour que le monde soit un peu moins dégueulasse.
David :
Sur l'aspect transfrontalier et transnational, ça aussi, en tout cas, la confrontation des territoires différents et qui en même temps montrait chaque fois qu'il y avait des enjeux tout à fait communs. D'où qu’on vienne, quelles que soient les thématiques sur lesquels on est mobilisé et qui nous animent, on a plein de choses à partager. Et personnellement, j’ai le souvenir en particulier d’un enjeu d'être sans contrainte. Je pense notamment aux contraintes politiques, etc. Le fait d'être en dehors des cercles habituels de prise de parole et de pouvoir aller se confronter à ce que vivent les autres et exprimer ce qu'on pense, y compris ses frustrations, ses difficultés.
Anne tu le dis très bien : délivré. Je trouve que même aujourd'hui, ça a encore beaucoup de sens de continuer à documenter nos mobilisations, nos luttes et les choses pour lesquelles on se bat. Aussi parce que bien souvent, c'est un narratif officiel qui prédomine, en particulier quand on est dans des dynamiques de confrontation. Il y a l'histoire officielle et puis celle qu'ont vécu les différents groupes. Elle ne laisse pas trace. Et donc même si ce n’est pas toujours utilisé tout de suite ou si ça traîne dans un tiroir, c'est une manière de garder une trace et de documenter l'histoire racontée par celleux qui l'ont construite.
Jingle
Solenne :
Se raconter, c'est mettre des mots sur ce qu'on vit et ainsi décider de ce qui est important. Se rappeler de ce pourquoi on fait collectif et comment on veut le faire. Se raconter, c'est donc transformer des événements vécus en expérience. Le vécu est ce qui nous arrive et l'expérience et ce que nous en faisons. Le fait de passer du vécu à l'expérience implique de se saisir des événements passés et de s'interroger sur ce qu'ils ont provoqué en nous, sur nos collectifs et sur ce que nous en avons fait, individuellement ou collectivement.
Dans la postface de la bande dessinée « La recomposition des mondes », qui retrace un bout d'histoire de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, l'écrivain Alain Damasio se demande à quoi ça sert de faire des livres, des bédés ou encore des films sur nos luttes. « Est-ce que la lutte sur place in situ ne suffit pas déjà ? » écrit-il. À cela, il répond que tous les combats menés existent tant par leurs actes et leurs pratiques concrètes que par leurs récits. L'imaginaire qui se construit et se raconte autour d'eux. Selon lui, les récits, même enjolivés, ne sont pas des illusions. Ils permettent de construire des ponts au-dessus des ras-le-bol quotidiens, des échecs ou des limites de nos actions. Ces récits sont aussi ceux qui nous donnent des perspectives et permettent de continuer nos combats. Se raconter à l'oral ou à l'écrit, c'est aussi une action revendicative.
Quand on fait partie de groupes discriminés, les personnes et les groupes qui se racontent affirment leur présence légitime dans le monde. L'importance de leur vécu et par là, ils et elles questionnent l'ordre social établi. Comme le dit Claire, le monde appartient à ceux qui savent se raconter. On se raconte donc on est, donc on existe et on se bat. Se raconter, c'est aussi, comme nous le rappelle David, une manière de se réapproprier des discours qui nous concernent. De créer de nouveaux récits qui résistent à la vision du monde imposée par les récits officiels.
Musique rythmique
Personnes qui parlent l’une après l’autre :
Nous en avons marre d'avoir honte. Marre du vide dans nos assiettes. Marre de ces regards qu'on affronte. Marre de toujours baisser la tête. J'en veux à la police qui nous prend pour des hystériques et qui prend plus nos plaintes car, disent-ils, l'État n'a plus de fric. Dans chaque personne, il y a des capacités, il y a des savoirs, il y a des expertises qui sont trop peu souvent entendues, trop peu souvent écoutées et trop peu souvent prises en compte, notamment pour construire des solutions. Et c'est pour ça qu'on a monté cette scène, pour pouvoir rendre possible l'expression de tous ces messages qui sont des messages de lutte, mais aussi des messages d'espoir, de transformations. Prise un, Silence, on parle !
Claire :
Moi je pense que c'est les Silence, on parle ! qui m'ont beaucoup marqué, en particulier quand j'ai commencé à les connaître, dont celui de Roubaix avec le côté wouah ! On va investir une place avec des plateaux de tournage gigantesques, le côté visibilité. Et je me souviens qu'à l'époque, comme je débutais tout juste en 2011, moi j'accompagnais un groupe des alentours de Grenoble au Silence, on parle ! de Roubaix. Je crois que c'était Mosaïque Café de Saint-Martin-d'Hères et je sais que moi, ça me tendait d'imaginer que des gens allaient monter sur scène, prendre la parole devant tant de gens dans l'espace public. Il fallait préparer les saynètes et les femmes et les hommes du groupe qui étaient là dans le train. On était tous dans la même voiture, au bar du TGV, et ils ont quasi improvisé en direct, en rigolant dans le train sur de trajet. J'ai été épaté par leur capacité à s'amuser à raconter leur histoire : c’est un café associatif de Beauvais.
Je pense que quand tu traverses plein de moments où tu es en galère, tu passes ta vie à raconter ta vie, mais au guichet. Quand tu vas aux administrations, tu expliques ta situation. Ensuite, tu dois justifier tel aspect de ta vie à telle autre administration ou telle autre personne. Tu dois le dire à tes voisins, à tes amis, ou donc tu passes ton temps à raconter ta vie, mais tu ne choisis pas ni ce que tu racontes, ni comment tu le racontes, ni si tu le dis en criant, en chuchotant. Là, tu as le droit de te mettre en colère sur un Silence, on parle ! C'est toi qui choisis ce que tu dis et que tout ça, je pense, ça va un peu de pair avec à la fois des moments… Enfin, c’est parce qu’il y a aussi ces moments de lien et de convivialité que je pense, les personnes se sentent de faire ça. Mais j'ai beaucoup vu par exemple, toujours avec Unipopia, à Lille. Des trucs où c'est dans les moments off aussi que les gens se sentent plus capables de s’échanger des infos, des contacts et peut-être que ça te permet de part des rencontres Capacitation, de prolonger des liens bilatéraux entre telle personne et telle personne.
Et moi j'ai pu voir des gens qui deux mois après, rappelaient telle personne rencontrée parce qu'elle se souvenait qu’à Lille il s'était passé ça. Je trouve la force aussi, c'est que ça permet ces moments off de se voir de personne à personne et d'avoir moins de difficulté ensuite à décrocher son téléphone. On se dit « Ah, tiens, et si j'appelais David ou si j'appelais Anne... »
Leticia :
Au-delà de l'écrit, les événements Silence, on parle ! ont pour objectif de prendre une place publique et d'y donner la parole à celles et ceux qu'on écoute trop rarement. Pendant une journée, des personnes et des collectifs montent sur scène pour témoigner de leur expérience de galère et de résistance sous des formes variées comme des sketches, de la musique, une pièce de théâtre, un poème. Le public est ensuite invité à réagir et faire débat, toujours sous le regard des caméras. Ces événements reconnaissent la place et l'importance de ces collectifs dans la vie publique. Des personnes qui ne sont souvent jamais montées sur scène le font dans un centre-ville et créent le débat avec les passantes et passants. Dans ce que Claire nous raconte, il y a un autre aspect fondamental de Capacitation, celui qui crée la rencontre entre les gens, qui renforce des réseaux de liens et de solidarité.
Capacitation, c'est se raconter, mais c'est aussi prendre le temps de se rencontrer. On va écouter Claire, David et Anne nous parler de ces rencontres qui continuent d'avoir lieu aujourd'hui et qui rassemblent souvent pendant plusieurs jours des personnes de collectifs de différents territoires de France et de Belgique. Ces rencontres se font parfois autour d'une thématique ou à partir d'un lieu, ou encore pour partager des outils ou des pratiques.
David :
J'avais juste envie de rebondir sur ce que Claire disait. Cette idée que les trajets eux-mêmes étaient déjà des moments d'émulation et d'échange. Parce que ça, ça fait écho à des choses. Peut-être parce qu'on n'est pas suffisamment préparé à voir, mais en tout cas, il y avait une énergie à ce moment-là qui faisait que les groupes étaient super dynamisés et motivés. Il y a plein de choses qui se passaient effectivement dans les trajets, que ce soit en train ou en minibus, etc.
Claire :
Sur le côté voyage, trajets, il y a un côté au-delà que ça aide aussi à faire groupe et à changer d'endroit. Je trouve qu'il y a un côté très politique aussi là-dedans, parce qu'en fait t'es en galère, t'as pas les moyens de te déplacer, tu ne bouges jamais, sauf quand c'est pour des choses que tu n'as pas envie de faire. Mais les puissants, les gens au pouvoir, eux ils l'ont. Ils les ont ces moyens de se déplacer, de se rencontrer. Et là, le fait que tu les donnes à des personnes individuelles ou des collectifs qui sont en galère dans leur vie, politiquement parlant, c'est une vraie force pour faire réseau, pour se déplacer et s'extraire de chez soi.
David :
Sur l’aspect informel et la convivialité, ça faisait vraiment partie du fait d'expérimenter autre chose que le quotidien. Même dans des groupes mobilisés avec lesquels on avait l'habitude de travailler. Le fait de partir faire autre chose ensemble et que ça soit effectivement un des objectifs, c'est de pouvoir non seulement aller prendre la parole et raconter ce qu'on vit, mais pas seulement. Une des grandes forces des échanges, c'était justement les trous laissés dans la dynamique. Parce qu’il n’y a pas d'obligation à produire. Il y avait assez de marge de manœuvre par rapport à ça. Sur la rencontre des collectifs aussi, ce qui est assez étonnant, c'est que ça permet certainement encore de se retrouver pas sur un enjeu évident, commun. Et pourtant il y avait comme une espèce d'évidence, qu'on fasse partie d'une dynamique commune, d'une envie de faire bouger les choses à partir de là où on est et comment ces points d'accroche se construisaient entre un groupe de femmes mobilisées autour d'un enjeu très concret et puis des militants de différents horizons. Il y a cette espèce de truc qui se passait là à nouveau aussi, rendu possible par la convivialité et le côté informel dans les échanges et la journée.
Anne :
Je pense que ça fait partie des outils, ce côté organique, informel et basé sur des liens. Il y avait toujours un côté festif et convivial qui permet énormément de choses.
Claire :
Pour moi ce n'est pas que du off en fait, on a des temps d'expression, on travaille et ensuite on se détend autour d'une bière le soir. Il y a aussi ça. Mais moi j’hallucine sur la manière dont on continue à se causer en arpentant les rues d'une ville qu'on connaît pas ensemble un soir. Je trouve que c'est hyper important et ça va au-delà du côté « il ne faut pas trop surcharger les gens. » On va aussi prévoir des moments sympas.
David :
Une des dernières rencontres à Grenoble autour de la piscine, ça avait symbolisé beaucoup de choses. D'abord, l'occupation de ce lieu par des publics différents qui se croisaient, de mémoire, aussi bien des étudiants en archi, des travailleurs, des intervenants sociaux, des personnes sans-abri. Et l'idée de faire cette espèce de ruche où on va construire des projets, des idées ensemble et secouer un peu le cocotier. Le fait que ça donnait envie, même si ça n'a pas débouché concrètement, mais de retour à Charleroi, de tenter quelque chose du même tonneau quoi. Il y a eu pas mal d'échanges autour de la création d'une fabrique de solutions. Je crois que c'est un des termes qui avait été imaginé. De mémoire, mais je peux me tromper, ça n'a pas débouché énormément sur du concret à Charleroi, mais en tout cas, c'était assez révélateur de ce côté inspirant. Et l'idée n’était pas, en revenant de Grenoble, de dire on va faire la même chose. On avait été emballés par cette expérience, ce qu'elle rende possible et on se disait mais il y a peut-être des choses à jouer dans notre territoire aussi, en mettant les énergies en commun. Je trouve ça assez révélateur de l'imprégnation ou le jeu. Je ne trouve pas le bon terme, mais le fait que le Parlons-En de Charleroi a semé une petite graine aussi qui a fini par se développer à Grenoble. Pas exactement sur le même modèle, mais enfin voilà le côté inspirant de ces échanges.
Claire :
J'étais curieuse que tu dis David. Moi ça me parle à fond parce que je trouve qu'il y a eu plein de petits échos niveau Parlons-En. Ce sont des groupes qui se rencontrent et à Grenoble, des gens de Charleroi inspirent des Grenoblois pour créer un espace. Du coup, là, on est à fond dans les sources d'inspiration et de comment parfois on a l'impression que c'est des projets gigantesques. Et en fait, en rencontrant des gens qui ont réussi à les mettre en place, et ça détend. Et au-delà de ça, plus la piscine et tous ces allers retours, et au-delà des sujets qui pourraient être propres aux collectifs de chaque ville, ou même les outils parce qu'avec le parlement de Grenoble en 2018, on a essayé aussi de refaire un Silence, on parle ! à Grenoble. Du coup, les gens se sont approprié aussi les formes de Capacitation, un peu des formes d'expression. Il y a encore dans les ricochets des personnes de Belgique, C'est Prévu de Charleroi sont venues au Silence, on parle ! à Grenoble et ont quelques années plus tard fondé leur association et sont revenues à Grenoble. J'aime beaucoup les ricochets, même si ça dure quelques années. Comment Capacitation a pu créer cette espèce de petit enthousiasme, d'idées et qui paraissent moins impossibles quand on est tout seul.
David :
Je voulais insister sur une des particularités des rencontres. N'importe qui pouvait venir n'importe quand à une rencontre Capacitation. Certains n'y avaient jamais foutu les pieds et ne voulaient plus jamais y revenir. Et ce n’était pas grave. Ça joignait le côté un peu improbable, mais aussi le fait que les portes d'entrée étaient grandes ouvertes. Ce qui ne veut pas dire que des trucs programmatiques sont pas bien, mais c'était aussi une des forces qui faisait qu'on pouvait faire l'expérience juste une journée, d'aller s'évader, s'inspirer. Ce n’est pas toujours évident à goupillé dans des dynamiques qui sont plus construites sur le long terme ou plus programmatique.
Claire :
Moi, quand tu parles de portes grandes ouvertes. Je trouve qu’il faut garder ça dans les rencontres Capacitation. C'est assez fabuleux et que le pas de la porte aussi avec tout ce qui se passe en périphérie finalement. Si on imagine Capacitation avec ces grandes portes vitrées ouvertes, il faut que ce soit transparent. Le pas de la porte, tout ce qu'on disait sur les trajets, les rencontres off. Ce qui a aussi enrichi notamment les Parlons-En à Grenoble par exemple. En prenant en compte que tout ce qui se passait en dehors du cercle de parole avait sa propre importance et que ce n’était pas à sous-estimer, voire à faciliter.
Solenne :
Résumons Capa c'est une dynamique qui veut donner la parole et susciter l'écoute de personnes en galère, donner de la force à des collectifs en leur permettant de créer leurs propres récits. C'est aussi une démarche qui vise la rencontre de personnes et de groupes qui sinon, n'aurait eu que peu de chance de se rencontrer dans un système où la capacité de se déplacer et de faire réseau est aussi un privilège. Ces moments de prise de parole et de rencontres peuvent sans doute se justifier en tant que tel, être des objectifs en soi. Mais on a voulu demander à Claire, David et Anne à quoi ça sert pour elles et eux Capa ? On se capacite à quoi ? Est-ce qu'on peut se contenter de vivre des beaux moments ensemble quand on est entouré de personnes qui vivent des galères immenses et sont souvent confrontées à des situations d'urgence ?
Anne :
Pour moi, il y a déjà une question d'équité et c'est l'idée de peut-être apporter des outils, des personnes qui qui en ont moins reçu au cours de leur parcours éducatif ou professionnel, au cours de leur expérience de vie. Et après, il y a le côté émancipateur. L'idée c'est que les gens soient libres de faire leurs choix, mais qu'ils soient émancipés par rapport à toute sorte de phénomènes aliénants. Donc, qu’il n’y ait pas un projet bien clair comme il peut y en avoir un dans un mouvement politique, ça me semble plutôt chouette. Pour moi, la force de c'est de permettre aux gens de développer l'esprit critique, le pouvoir d'agir et qu'on puisse aussi un peu lâcher et faire confiance aux gens pour continuer l’action en fonction de leur réalité.
Claire :
À titre perso, je suis passée par différents cheminements sur à quoi ça sert tout ça ? Essayer d'être fort et nombreux face à une institution ou une politique à faire dévier. Et moi j'ai. Je crois que dans les objectifs de toutes ces rencontres et de toute la dynamique Capa, moi j'y vois beaucoup plus aujourd'hui en tout cas. Ça ne va pas forcément changer le monde politique. J'ai l'impression par exemple que sur le côté émancipateur tout ça en Capacitation, on est tous déjà des gens engagés dans une action collective. Du coup, on a déjà tous plus ou moins fait ce pas de dire « Je veux faire quelque chose et je monte tel truc dans ma ville ou je m'associe à tel groupe de gens. Mais je suis à la rue. Il y a ça qui est arrivé du coup, parlons-en. » On est déjà des personnes en galère et on en a marre de ce sentiment d'impuissance. Donc on cherche des manières d'agir et Capa, l'objectif pour moi, c'est finalement de se raconter entre nous presque. Ces groupes-là se rencontrent entre eux pour résoudre des murs auxquels on se cogne dans nos actions et dans nos luttes pour s'échanger aussi parfois des parcours individuels.
On a tous vécu ce moment d'épuisement du collectif. Parfois, on a des moments où on se dit mais à quoi bon ? Et on se retire du collectif pour se consacrer à d'autres bout de nos vies ou juste essayer de survivre tout court quand tu es en galère. On continue à tenir pour lutter contre la galère quand on est dedans soi-même. Moi-même, j'ai un sentiment… Non, ce n’est pas un sentiment, c'est une réalité. Le monde est de plus en plus trash, le système de plus en plus violent, les exclusions, les inégalités se creusent. Enfin bref, c'est difficile de voir du positif dans l'évolution du monde aujourd'hui. Mais les forces de ces rencontres et de ces échanges, c'est bien aussi d'essayer de ne pas perdre espoir en se montrant nos petites ou grandes victoires.
Je pense que c'est que c'est vraiment ça qui va nous permettre de reprendre du souffle ou de la respiration. Capacitation, c’est peut-être pour moi un des objectifs fort. C'est de l'échange de pratiques, de la co-formation et aussi peut-être du soutien. C’est aussi de se dire que ce n’est peut-être pas des projets qu'on va transposer d'une ville à l'autre, mais peut-être qu'un jour cette logique de réseau, un groupe de Capa organisera un gros truc dans sa ville avec des gens d’Unipopia/Capacitation. Ils peuvent aller soutenir ce groupe et créer des liens de soutien.
David :
L'objectif n'est pas directement de sortir avec du produit, des revendications, de l'action. Ça a fait plein de débats à l'époque aussi, et ça revenait régulièrement sur le tapis. Et en même temps, ça n'obligeait pas à chercher le plus petit dénominateur commun entre tous les groupes qui étaient là, à devoir s'accorder sur ce qu'on va porter ensemble. Mais étonnamment, le fait de ne pas avoir cet objectif, je pense, rendait des choses possibles qui sinon aurait été un peu compliqué. Pour moi, c'est davantage la dynamique d'émulation que ça produit. Le fait que ça avait d'un côté un effet de renforcement et de légitimation des différents collectifs et des individus. On va trouver ailleurs un effet miroir, un reflet parfois des limites, mais aussi de la capacité d'action qu'on a développée, des enjeux qui sont comparables, des difficultés, des obstacles, des interlocuteurs qui ne sont pas faciles à appréhender, etc. J'aime bien ce que tu dis Claire sur l'entre nous. J'ai envie d'ajouter « productif. » On ne s'enferme pas, mais le fait d'être entre soi, c'est une étape importante pour créer ce renforcement, cette légitimation. Je pense qu'un des effets, c'est aussi l'ouverture des possibles. Le fait de se confronter à d'autres réalités. Donc à nouveau, ça renvoie des reflets où ça résonne avec sa propre réalité, son territoire, ces luttes, ces mobilisations. Et puis ça élargit les horizons aussi. Tiens, les migrants à Calais vivent aussi des merdes pas possibles qui font tout à fait écho et qui s'inscrivent dans les mêmes dynamiques de rapports de pouvoir qu'on peut rencontrer ailleurs. Il n’y a pas nécessairement besoin que ça produise directement de la mobilisation ou des revendications communes.
Je pense que cet effet-là, il continuait à fonctionner avec un peu de dynamique d'essaimage, qui parfois resurgissent longtemps après. On a vu la question des temporalités très différentes. Il y a des choses qui ont produit des effets tout de suite, et puis il y a des dynamiques de cycles d'essaimage qui produisent sur du long terme des choses sur différents territoires. Je pense que le terme de réseau pour moi a toujours été un peu trop fort, parce que ça n'a jamais été un réseau qui se mobilise et qui dit on va dire untel, untel, untel. Mais par contre, ces liens diffus, ces échanges d'expériences, ça saime des trucs qui après resurgissent.
Chants :
Non, ne me demandez pas,
De ne rien dire si j’assiste à ça.
Non, ne me demandez pas,
De ne pas me battre pour changer tout ça.
Solenne :
Voilà, c'est tout ça Capacitation. Depuis l'année 2000, ça a évolué, mais les rencontres continuent et on a organisé deux événements Silence, on parle ! en 2023 et 2024. Les questions qui ont traversé cet épisode sont celles du récit de soi individuel et collectif, et des liens qui se tissent entre des collectifs de personnes en galère, minorisé et peu entendues et des autres qui veulent s'allier à elles et les soutenir dans leurs luttes. Tout ça ensemble, ça forme un « on » plutôt qu'un « nous ». Déjà parce que le « nous » semble trop formel, et parce qu'il risque d’invisibiliser le fait que malgré tout, les personnes qui composent Capa ne forment pas un groupe homogène ou totalement égalitaire. Même si l'ambition est celle de mettre sur un pied d'égalité toutes les personnes participant aux rencontres, on est conscient·e·s qu'on ne part pas toutes et tous avec les mêmes ressources et qu'on ne fait pas face au quotidien, aux mêmes situations de précarité ou de discriminations.
En tant que travailleuses et travailleurs, cet enjeu d'égalité avec les personnes qu'on accompagne continue et continuera sans doute encore longtemps de nous occuper. Donner de la place et de l'importance aux récits de personnes concernées par les inégalités de nos sociétés, rendre l'espace public et renforcer les solidarités entre les collectifs. On continue de penser que ça a du sens, que c'est nécessaire. On va leur donner la parole, remettre au centre du débat les personnes oubliées. Mais quelle légitimité avons-nous pour le faire ? Quelle place prendre pour ne pas, encore une fois, déposséder les personnes de leur parole ? La réponse à ces questions évolue et nous font nous questionner sans cesse sur nos pratiques.
Leticia :
Aujourd'hui Periferia fait également partie d'une autre démarche, proche de Capa, dont a parlé Claire, qui s'appelle Unipopia, l'Université Populaire D'Ici et d'Ailleurs. Elle rassemble aussi des collectifs de différents territoires, mais fonctionne plutôt sur base de groupes thématiques : alimentation, logement ou encore gouvernance. Ces groupes souhaitent se mettre dans une posture de chercheurs et chercheuses populaire et ainsi se capacité à créer et transmettre des connaissances pratiques et théoriques à partir de leurs expériences. C'est un peu comme à Fortaleza, dans l'école de chercheurs populaires qui a inspiré Periferia et a donné ensuite naissance à Capacitation.
Pour citer David, on retrouve cette dynamique de cycles d'essaimage qui produisent des choses sur le long terme et sur différents territoires. Toutes ces rencontres, ces événements, ces livrets, ce sont des outils et des respirations. Dans un monde où les inégalités sont organisées et structurelles et où les injustices se creusent, continuer de se battre demande de se raconter et de se rencontrer dans des entre-soi productifs, de construire nos récits et d'écouter les subalternes parler, de former des bulles d'oxygène et de solidarité.
Musique :
Dansant autour du vieux pieu noir
Où tant de mains se sont usées
Je chante des chansons d’espoir
Qui parle de la liberté
Et si nous tirons tous il tombera
Ça ne peut pas durer comme ça !
Il faut qu’il tombe, tombe, tombe
Vois-tu comme il penche déjà !
Si je tire fort, il doit bouger
Et si tu tires à mes côtés
C’est sûr qu’il tombe, tombe, tombe
Et nous aurons la liberté !
Générique :
« Pas sans nous ! » une série de podcasts de l'association Periferia, produite dans le cadre de l'éducation permanente et soutenue par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ces podcasts sont à réécouter sur notre site Periferia.be et sur Soundcloud.
Articles et ouvrages :
- Emilien Legendre. « Gayatri Chakravorty Spivak. Les subalternes peuvent-elles parler ? ». Dygest. https://www.dygest.co/gayatri-chakravorty-spivak/les-subalternes-peuvent-elles-parler.
- Gayatri Chakravorty Spivak. 2009 [1988]. « Les subalternes peuvent-elles parler ?». Traduit par Jérôme Vidal. Ed Amsterdam. https://blogs.law.columbia.edu/critique1313/files/2020/06/SPIVAK-Les-subalternes-peuvent-elles-parler.pdf.
- Alessandro Pignocchi. 2019. La Recomposition des mondes. Seuil.
Musique et transitions sonores, dans l’ordre d’écoute :
- John Dobrynine. 1977. « Pour une autre route ». Chanson de luttes en Belgique. Interprétée par Le GAM - Groupe d'Action Musicale. https://www.legroupegam.be/.
- Albert Santoni, 1960. « Les archers du roi, version ‘sans papiers’ ». Paroles de Bande à Rosa, interprétée par des militant·es à Bruxelles en 2024.
- Extrait de la vidéo « 2023 Silence, on parle ! Charleroi – reportage de la journée ». https://vimeo.com/843850780?share=copy.
- Le GAM - Groupe d'Action Musicale. 2020. « Avec toi, avec elle ». Chanson de luttes en Belgique. https://www.legroupegam.be/.
- Marc Robine. 1999. « Le pieu ». https://www.youtube.com/watch?v=PLG-BXRwg1Q. Traduction de la chanson de Lluis Llach (1968) « L’Estaca ».