Pas sans nous ! – Episode #1 : Naissance de Periferia
Dans ce premier épisode, vous entendrez comment Periferia a pris ses racines à Bruxelles, à partir d'expériences ménées au Brésil dans les années 1990. On y entend 3 des fondateur·rices de l'association, Eliana Guerra, Yves Cabannes, et Patrick Bodart, nous expliquer d'où l'idée est venue, pourquoi Bruxelles, et surtout, les intuitions qui continuent d'influencer nos manières d'être et de faire.
Bonne écoute !
Yves Cabannes :
« Nada sin nosotros » et je crois que beaucoup du travail qu'on a pu faire, que ce soit au Brésil, au Mexique et qui continue aujourd'hui, c'est de pouvoir reconnaître qu'en fait, le futur se crée dans les périphéries et pas au centre. Le centre détruit. Les centres de pouvoir détruisent.
Jingle
Solenne :
Et en 25 ans, que s’est-il passé ?
Jingle d’introduction :
« Pour moi, tout citoyen doit participer. »
« L'abstention décidément est un piège à cons. »
« Tout est déjà décidé à l’avance. »
« Je vous ai compris. »
Pas… Sans… Nous. Pas sans nous : une série de podcasts de Periferia.
Jingle
Solenne :
Salut moi c’est Solenne, et je travaille pour Periferia. Avec mes collègues, on s’étonne souvent du fait qu’il n’est pas facile d’expliquer c’est quoi Periferia, ni ce qu'on y fait. Enfin pas en une phrase, en tout cas :
On accompagne des collectifs d'habitant·es, des citoyen·nes dans des initiatives de transformation sociale.On est une association d'éducation populaire centrée sur les questions de démocratie participative, mais à partir des personnes les plus exclues des espaces de décision. On fait du travail communautaire dans des quartiers populaires pour aider des collectifs à s'organiser et devenir force de revendications.
Ah, et parfois, on essaye de convaincre des communes de mettre en place des budgets participatifs. Et cette association aux multiples thématiques publiques et territoires d'action, elle vient d'avoir vingt-cinq ans. On s'est alors dit que c'était l'occasion de prendre du temps pour expliquer et repenser collectivement c'est quoi, Periferia ? Et en vingt-cinq ans, que s'est-il passé? Comment la structure a-t-elle évolué ? Ses projets avec, et surtout quel lien avec les évolutions de nos sociétés ?
Quand Periferia a atterri à Bruxelles en1998, les questions de participation citoyenne ou de démocratie participative n'avaient pas la place qu'elles ont aujourd'hui. On en parlait moins, en tout cas en Europe, et les expériences de participation se limitaient la plupart du temps à de la consultation. Petit à petit, de nombreux projets, programmes, actions ont voulu faire de la participation citoyenne, rendre notre démocratie plus participative, ce qui fait parfois de tous ces termes des mots valises, fourre-tout, qui font bien tout en ayant perdu de leur sens.
Cette série de podcasts veut donner la voix aux personnes qui ont joué un rôle dans l'histoire de Periferia, tout en retraçant les étapes clés de la participation citoyenne depuis vingt-cinq ans. Notre point de départ et Bruxelles, mais vous verrez que nous ne resterons pas sur place.
Jingle
Solenne :
Moi, ça fait trois ans que je travaille chez Periferia. Durant ce temps, j'ai entendu des histoires, des récits de collectifs accompagnés, de projets transformateurs et de tentatives déçues. J'ai aussi toujours entendu et même raconté autour de moi que Periferia est née d'expériences menées au Brésil. Il suffit d'aller sur notre site, c'est le premier truc écrit.
Et aujourd'hui, dans ce premier épisode, c'est cette histoire que je vais raconter. Enfin, pas moi toute seule. Pour retracer le chemin qui a mené à la naissance de Periferia, j'ai interrogé trois des fondateurs et fondatrices de l'association : Patrick Bodart, Eliana Guerra, et Yves Cabannes. Le premier était près de Toulouse, en France ; la seconde à Natal au brésil ; et le troisième à Lisbonne, au Portugal. Moi, j'étais à Bruxelles.
Eliana Guerra :
Bonjour Yves !
Yves Cabannes :
Bonjour Eliana !
Depuis combien d'années on ne s'est pas vus ?
Calculons un peu.
Eliana Guerra :
Je pense que la dernière fois qu'on s’est vus c’était à Paris, chez Yves. Dans une réunion que l’on a fait pour penser le chemin que devrait prendre Periferia. Je pense que ça devait être au début des années 2000, 2001-2002. Quelque chose comme ça…
Patrick Bodart :
20 ans déjà ?
Yves Cabannes :
Eliana, tu n'as pas oublié ton français.
Eliana Guerra :
Mmh… je suis un peu… Comment dire en franaçais ? enferrujada
Yves Cabannes
Rouillée
Eléana Guerra :
Ça me fait plaisir de vous entendre. Je n'ai pas beaucoup d'occasions de parler français.
Solenne :
Moi qui pensais qu'on allait me retracer de manière linéaire les premiers pas de Periferia, on m'a parlé d'intuition, d'envie, de valeurs et de lieux et de gens que je connaissais pas. En tout cas, on commence dans les années nonante à Fortaleza, capitale de l'état du Ceará, dans le nord-est du Brésil. Enfin non, certains commencent plutôt à l'université de Louvain-la-Neuve.
Yves Cabannes :
C'est important de rappeler l'université de Louvain-la-Neuve, de se souvenir de Habitat et Participations et de Habitat et Développement avec Bernard de Clèves, dans lequel il y avait des ateliers et dans lequel il y avait un étudiant qui s'appelait Patrick Bodart. Habitat et Participation, dans lequel le thème de la participation avec Jean-François Mabardi était au cœur. Moi par hasard, j'étais invité à des séminaires et c'est comme ça qu'on a commencé à travailler. Et c'est comme ça aussi, qu’on était en contact avec des étudiants du sud qui faisaient le cycle Habitat et Développement.
Patrick Bodart :
Moi, je suis arrivé en septembre 1992 à Fortaleza.
Yves Cabannes :
Mon premier voyage et donc mes premiers contacts avec Eliana était en 1989.
Eliana Guerra :
Oui, c’est ça.
Solenne :
Donc Patrick, qui était étudiant à Louvain-la-Neuve et avait rencontré Yves dans le cadre de séminaires de Habitat et Développement, part en 1992 au Brésil, à la base via une ONG française. Très vite, il intègre le Ceará Periferia, où sont également Yves et Eliana. Bon, notre entretien a duré deux heures et alors que mon micro était tout prêt à enregistrer leurs voix racontant les fameuses expériences menées au Brésil ayant donné naissance à Periferia en Belgique, personne ne l'a vraiment expliqué.
Sans doute parce que, comme vous les entendrez dire, leur volonté n'a jamais été celle de répliquer des projets ou des méthodologies, ou des programmes, mais plutôt d'agir à partir de visions, d'intuitions, de posture d'écoute des périphéries.
Pour que vous suiviez, voilà quand même en quelques mots ce qu’il s'est passé à Fortaleza via le Ceará Periferia. D'abord, il y a eu le programme Comunidades* : il s'agissait de projets centrés autour de l'auto-construction de quartiers dans les périphéries de Fortaleza pour permettre à des personnes d'avoir accès à un logement. Ce programme, au-delà de permettre aux personnes de bénéficier ensuite d'une maison pour leur famille, s'accompagnait de formations, notamment pour apprendre à construire des maisons, et ensuite de production de matériaux pour tout ce chantier. Dès le départ, il s'agissait donc de faire, penser et construire la ville avec les gens.
Le deuxième projet important dont vous allez entendre parler, c'est celui de l'école de planification et de chercheurs populaires. Cette école a permis à des personnes toujours en périphérie de Fortaleza de contribuer elles-mêmes à la production de savoirs sur leur territoire. Un moyen de s'approprier des connaissances et de se légitimer en tant qu'expert·e de son quartier et de sa ville et d'enlever ainsi aux élites le monopole de la connaissance et de sa production. Je vais maintenant laisser la parole à Eliana, Yves et Patrick sur ce qui fait, pour elles et eux, l’ADN de Periferia depuis son origine dans l'organisation brésilienne Céará Periferia.
Eliana Guerra :
En réfléchissant, je pense qu’à l'époque, sans le savoir exactement, nous étions assez à l'avance. Parce que cette idée d'être à l'écoute des gens qui sont dans les périphéries des villes - qui ont été délaissés par les politiques publiques ici au Brésil au niveau des droits - cette idée est devenue de plus en plus un mot d'ordre des mouvements sociaux au Brésil et ailleurs. Par exemple, les mouvements des femmes, les mouvements des populations indigènes que l'on appelle quilombola, qui sont des populations afro-descendantes du Brésil, Ils affirment très fortement : « Rien sur nous, sans nous ».
Je suis en train de faire une traduction, mais je ne suis pas sûre qu’elle passe exactement. Mais cette idée de « Rien sur nous, sans nous ! » on ne la formulait pas exactement comme ça mais c’était déjà là à la base. Si l’on regarde toutes les actions que nous avons faites ensemble depuis les mutirão Castelinho**. C'était une des actions à Fortaleza et l'idée de concevoir un petit projet d’un lotissement urbain avec la participation active des habitants, dans les dessins des maisons, etc. C'est-à-dire « rien pour nous » en l’occurrence, « sans nous » : sans notre parole. On retrouve la même idée dans l’école des planifications, les recherches, traditionnellement, elles sont malheureusement encore aujourd'hui sur les populations. Les chercheurs vont chez les gens faire les recherches sur eux et puis après ils s'en vont.
Donc l'idée d’engager, de former, d'orienter, et de faire des recherches sur les quartiers avec les habitants et leurs leaders. Donc ça je pense que c’est un aspect intéressant : il est possible de renverser le courant. Et au lieu d'avoir des européen·nes qui sont tout le temps en train de venir au Brésil nous apprendre des choses. Nous avons aussi des choses à dire.
Yves Cabannes :
« Nada sin nosotros » et je crois que beaucoup du travail qu'on a pu faire, que ce soit au Brésil, au Mexique et qui continue aujourd'hui, c'est de pouvoir reconnaître qu'en fait, le futur se crée dans les périphéries et pas au centre. Le centre détruit. Les centres de pouvoir détruisent. Mais où se crée la ville ? Qui la crée ? Elle se crée dans les périphéries, qui sont la vraie centralité des villes. Elle se crée avec justement les exclus et qui sont, eux, les porteurs d'un futur d'une ville plus juste, d'une ville qui va réduire les inégalités. Et donc, pour moi, la centralité des périphéries et la centralité du rôle de Periferia, elle continue tout autant. C'est d'ailleurs pour ça qu’au Brésil, ça s'appelait Centre Periferia. Il y avait un jeu de mots, et à Bruxelles ça s’est appelé Periferia, pour bien montrer que même dans une capitale comme Bruxelles, la capitale donc, le centre même du pouvoir européen, du modèle néolibéral en pleine expansion, etc. C'était se dire que ce qui compte si on veut des villes plus justes, plus harmonieuses, plus socialement et spatialement justes, c'est important d'être à l'écoute des gens mais surtout de reconnaître leur savoir-faire. D'où une réflexion qui était sur les pratiques, sur le savoir empirique et pas sur le savoir intellectuel, qui permettait déjà de dire : c'est à partir des pratiques que peuvent se faire des transformations intéressantes pour les villes.
Cette histoire, moi je dirais que c'est encore plus actuel parce que de la même manière que Eliana nous disait, la relation avec les habitants n'a pas changé. En ce qui concerne par exemple la production du savoir. Aujourd'hui, la grande d'exploitation c'est l'exploitation des connaissances. Quand c’est que les gens sont au cœur de la production du savoir et des savoir-faire ? D'où l'importance de renverser doublement cette machine. Que ce soit avec des habitants porteurs, eux, des savoirs et savoir-faire reconnus pour cela, valorisés pour cela, et que l'on comprenne que ce sont eux qui sont moteurs du changement. Mais aussi de se dire que c'est dans ces endroits du sud, et je le vois à Lima ou à Quito, où je travaille actuellement, où c'est quand même là que se forgent des savoirs très différents des savoirs qui se forgent et des savoir-faire qui se forgent au centre. Donc ça, ça repose un peu le positionnement de Periferia.
Musique
Solenne :
Au départ de Periferia, et de vos engagements différents, il y a vraiment cette conviction que il faut écouter les périphéries et ce que disait Yves : le futur se crée dans les périphéries. Mais je me demande au fond, pourquoi un futur plus souhaitable, plus juste, plus égalitaire, ça viendrait des personnes les plus marginalisées ou en général qui sont pas entendues ? Pourquoi au final c'est les périphéries qui comptent et qui sont créatrices peut-être de ce futur qu'on désire ?
Eliana Guerra :
Je pense d’abord que c’est parce que ce sont eux qui ressentent directement dans leur quotidien les besoins, les formes de violence aussi, qui deviennent des formes d'exclusion, des non-accès aux droits, non-accès à la citoyenneté. La force est là parce que ce sont eux qui ressentent la négation de droits, les formes de violence, la violence institutionnalisée.
Patrick Bodart :
Il ne s'agit pas simplement des personnes qui ne sont pas écoutées, mais il s'agit surtout des personnes qui sont en capacité d'action. Et je pense que, effectivement, les personnes qui vivent en périphérie, dans beaucoup de cas, ressentent cette colère de ne pas être dans la ville, si on peut le dire au sens large du terme. Mais aussi ont une énorme capacité. Le mot est pas idéal, une capacité d'expérimentation et une capacité de résoudre et d'inventer, que les centres, je pense, n’ont plus. Les centres sont comme des espaces de reproduction, très entretenus par le système. Et je pense que les périphéries, dans toutes les dimensions périphériques, pas que géographiques, sont justement des espaces de beaucoup plus d'innovation. Pour ça, moi, je pense qu'on a toujours essayé de construire, finalement, comment est-ce que depuis les périphéries on peut développer des initiatives qui vont dans le sens de la ville dans laquelle nous voulons vivre ; le monde dans lequel nous voulons habiter. Donc, en tout cas dire, il ne s'agit pas simplement d'être à l'écoute des personnes mais aussi, justement, toute cette dimension de soutien, de renforcement, de mettre parfois des mots sur des capacités d'innovation et d'expérimentation.
Yves Cabannes :
Ces périphéries et les gens surtout en position d'action – c'est pour ça que j'aime bien ce que tu dis, Patrick – sont en fait le thermomètre en temps réel de ce qui se passe et le baromètre sur les tendances à long terme. Donc, si l’on veut avoir un vrai thermomètre et un vrai baromètre pour penser le futur, pour agir, c'est pas les grands thermomètres et baromètres que l'on a à l'échelle planétaire, c'est pas ça qui compte. Ce qui compte c'est ces micros thermomètres et baromètres qui sont dans les territoires parce que, eux, ils nous informent.
Musique
Solenne :
Si justement dans cette logique, les réponses ou les innovations, elles vont venir des personnes directement concernées, est -ce qu’il n’y a pas une contradiction alors, en tant que personnes externes, de vouloir créer quelque chose mais qui se veut venir des périphéries ? sur cette question du rôle et de la place qu’on prend pour accompagner des processus qui viennent des périphéries…
Yves Cabannes :
Je pense qu'une des choses que Periferia, et ça c'est à l'actif de Patrick et puis des autres et des équipes du début et dont j’ai toujours été admiratif, et qui a poussé loin cette réflexion-là dont on parle avec Eliana et Patrick, ça été tout ce qui a été autour de Capacitation Citoyenne. C'est-à-dire ce qui a été de donner la voix donc, d'écouter beaucoup. Et cette écoute là est quelque chose qui fait la différence et que pour les gens est essentiel. Ils peuvent parler et être écoutés. Donc ça, je crois que ça a été très bien dans Periferia. Ça je le vois.
Et par contre aussi c'est avoir eu la capacité de transformer ces paroles, souvent difficiles à sortir, et de s'en faire les porte-voix, d’en être l'écho, de pas trop trahir les voix mais d'un être des échos. D'aider à mettre ça en parole, d'aider à mettre ça en mots, pas nécessairement à l'écrire. Non, mais participer à cette production sociale du savoir.
Eliana Guerra :
Je pense qu'on a plus un rôle d'intellectuel organique et d'appui, de soutien à ces mouvements mais ce n'est pas nous qui venons d'ailleurs et allons faire les changements. Notre idée, cette idée qui a été construite collectivement parce que ce n’est pas seulement nous trois mais d'autres personnes qui y ont passées plus au moins du temps. C'était de créer des outils,… Et je pense que ce que l'on a construit au Brésil, à Fortaleza, c'était créer des outils pour faciliter ou rendre possible les rencontres entre les personnes. Créer des outils qui puissent renforcer les organisations, soutenir les organisations et créer des espaces pour qu’ils puissent s’y reconnaitre en tant que sujets, en tant qu’acteurs sociaux. Et dans ces processus de se reconnaitre, de reconnaître aussi leur force, de créer des synergies entre différents groupes. L’expérience de l’école des chercheurs populaires à Fortaleza qui je pense a été d’une grande force, c'était de créer des espaces, mettre en place des espaces pour trouver des moyens pour qu’ils puissent venir des différentes périphéries de Fortaleza, et construire ensemble une réflexion collective. Je pense que ça a du sens aussi bien à Fortaleza que dans le contexte européen basé sur les expériences qu'on avait vécu là-bas, et mettre en place des outils, des espaces, des rencontres pour construire une parole qui ne soit pas une parole individuelle mais une parole collective, et pour qu’il y ait des moyens collectifs d’actions collectives.
Yves Cabannes :
C'est ça pour moi l'attitude. C'est dire à tout moment, plutôt que raconter ce qu'il faudrait faire, c'est de mettre en contact d'autres acteurs pour qu’ensemble, il y ait plus de chance de trouver des solutions innovantes localement. Mais parfois aussi, c'est les mettre en rapport avec des expériences d'ailleurs. Mais c'est une attitude quotidienne.
Mais qui était dans l’ADN initial de Periferia.
Patrick Bodart :
Comment est-ce que notre position d'étranger, d'extérieur, peut aider à ce qu’il y ait des choses qui se passent, ou au contraire à donner de la force localement en disant « C'est incroyable ce que vous faites » ?
Yves Cabannes :
Le fait d'avoir ce facteur exogène, étranger, déplacé, décalé, mais qui ne fait pas partie des relations de pouvoirs existantes est essentiel dans les processus de transformation. Il faut avoir une réflexion politique là-dessus, c'est-à-dire sur le besoin que les facteurs qui transforment la société sont endogènes, ce sont les forces endogènes qui transforment. Donc, soyons clair, ça va pas être fait de l'extérieur mais par contre il y a des facteurs exogènes, nous, et qui qui sont indispensables pour que les transformations puissent avoir lieu. Et ça, c'était quand même quelque chose qui s'est appris sur le terrain à partir de la dynamique des projets.
Jingle
Solenne :
Pour résumer, Periferia c'est donc faire le choix de construire physiquement et par nos savoirs des villes à partir des périphéries, c'est-à-dire des personnes exclues de nos centres de pouvoir. Ces périphéries qui sont porteuses de savoirs et de savoir-faire à reconnaître et dont l'expérience de l'exclusion et de la précarité fait imaginer des lieux et des modes de faire alternatifs. C'est une posture qui d'emblée a entendu l'importance de jamais faire « Pour nous sans nous » et qui veut renverser nos manières de construire les quartiers et les connaissances pour remettre au centre du débat les personnes qu'on entend le moins. Renverser nos façons de construire des savoirs, c'est aussi comme nous avons entendu Eliana le dire, arrêter de penser que le nord global a tout à apprendre au sud global. Et c'est là qu'intervient Periferia en Belgique, même si bien sûr, il s'agissait encore une fois plutôt d'envies et d'intuitions que d'un plan tout tracé.
Yves Cabannes :
Quand Patrick décide, c’est lui qui a envie de monter quelque chose en Belgique, je ne savais pas où on allait, comment ça allait se faire, etc. Donc, ça a été encore une fois plus une attitude qu’une grande décision stratégique avec des plans d'action, et ceci et cela. C'est-à-dire, si Patrick a envie avec tout son savoir, les bonnes idées, qu'on aille développer, c'est sûrement une bonne idée.
Patrick Bodart :
J'avais eu la chance d'aller à Fortaleza et de me former à Fortaleza avec d'autres. Je devais, dans le sens positif du terme, ramener quelque chose. Je devais être porteur d'un changement, de quelque chose de différent. Alors, dans mon pays, sans être très nationaliste, en tout cas dans mon contexte. Au départ, quand on a lancé Periferia, c'était aussi le choix de mettre un mot en portugais dans un pays trilingue. Donc il y avait ce côté un peu décalé et en même temps, ce côté on sait pas bien ce qu'on va arriver à faire. Parce qu'il faut être honnête dans la manière dont on a construit Periferia, c'était à l'époque de se dire : on sent qu'on a fait des choses, ou qu'on fait des choses vraiment super passionnantes au Brésil. On voudrait, parce qu'on était plusieurs à être soit en contact avec des pays européens, soit en étant originaires de pays européens. Eliana, par exemple, étudiait à ce moment-là en France. Il y a eu une intuition et une envie de faire quelque chose de différent. Par contre, je pense qu'à l'époque on n'était pas en capacité de dire ce qu'on dit aujourd'hui. Et donc, le redire aujourd'hui et s'entendre tous les trois parler d’il y a vingt-cinq ans, ça permet de dire qu’effectivement on était avec une manière d'être différente qui s'était construite par la pratique à Fortaleza. Donc moins avec une méthode et des étapes bien définies. Ce n'était pas ça. On n'a pas fait de la « méthodo » comme on en entend beaucoup parler aujourd'hui, mais c'était beaucoup plus « comment est-ce qu'on a développé, par nos actions au Brésil, une autre manière d'être » ?
Et du coup, on a eu envie de travailler là-dessus aussi dans un contexte tel que l’Europe. Vingt-cinq ans après, toujours dans cette préoccupation d'être pas seulement à l'écoute des personnes les moins écoutées, mais surtout de voir comment on peut encourager des espaces ou des lieux pour que ces personnes aient d’avantage l'occasion d'être entendues. On a voulu augmenter le volume de la voix de périphéries et quand même être beaucoup sur tisser des liens, ou en tout cas permettre que des liens se tissent.
Jingle
Solenne :
Voilà donc comment Periferia débarque à Bruxelles en 1998, les poches pleines d'expériences et d'envies de ramener dans la capitale européenne des savoirs et des pratiques d’Amérique latine. Pour la suite de la série, nous reviendrons sur des projets et des dynamiques qui ont marqué l'histoire de l'association comme « Capacitation Citoyenne » déjà mentionnée, une histoire marquée également par l'évolution de la participation citoyenne dans nos régions.
J'espère que cet épisode vous a plu et qu'il vous a donné envie d'écouter la suite. N'hésitez pas à nous transmettre toute remarque, questions ou suggestions à notre adresse e-mail : contact@periferia.be
Merci pour votre écoute.
Générique :
« Passe en nous ! » une série de podcasts de l'association Periferia, produite dans le cadre de l'éducation permanente et soutenue par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ces podcasts sont à réécouter sur notre site Periferia.be et sur Soundcloud.
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*Le programme Comunidades a permis de créer 500 emplois, 1000 logements, et de former les participant·es à différents métiers de la construction.
**Les mutirão Castelinho : projets de construction de 50 logements en aide mutuelle, qui a précédé le programme « Comunidades ».
Musique, dans l’ordre d’écoute
- John Dobrynine. 1977. « Pour une autre route ». Chanson de luttes en Belgique. Interprétée par Le GAM - Groupe d'Action Musicale. https://www.legroupegam.be/.
- Aurinha do Coco. 2020. « Seu Grito ». Seu Grito. https://www.youtube.com/watch?v=wxP7QTfYoZw.